L’amour en fin de vie….
Ce que j’ai vécu ces jours-ci en soins palliatifs m’a vraiment interpellée et bouleversée. Oui, je suis encore complètement émue et saisie devant la simplicité de la rencontre, même après toutes ces années.
C’est interpellant d’aller au cœur. Combien c’est possible en Neztoile. Pourquoi ça l’est moins autrement? Pourquoi ne pourrais-je pas faire ces accompagnements, en moi-même?
En fait, je le pourrais mais ce serait avec tellement moins de poésie et de légèreté!
Puis combien d’heures ou de jours pour en arriver à cet endroit que je touche si vite en personnage ? Il me faudrait combien de temps pour être si proche et si impudique ?
La force du personnage me permet tellement d’ôter toute barrière conventionnelle.
Dans des circonstances de grande vulnérabilité, c’est un gain de temps pour le cœur.
Quand j’arrive tout en automne avec feuilles jaune, oranges sur ma tenue et chapeau potiron sur ma tête, je sens bien que tout est possible si le patient accepte de s’émerveiller.
Une porte est ouverte. Un homme sans cheveux d’une cinquantaine d’années est allongé. Je capte son regard de loin. Je ne le lâche pas des yeux.
Je fais un petit signe de la main tout petit.
Il me répond en agitant des bouts de doigts.
Toujours aimantée par son regard j’avance un peu plus, hésitante mais avec une main qui fait coucou.
Il répond encore de ses bouts de doigts.
Je fais mine d’avancer avec les mains en aventure. Il asserte de la tête.
Ca y est. Je suis dans sa chambre.
Une très belle musique puissante avec des mélodies inspirantes résonnent dans mon sac fleuri. On pourrait dire que c’est une musique qui ouvre le cœur ou une musique d’amour.
Je ne l’ai toujours pas lâché des yeux et le regarde tout ouvert. Tout dans mon visage et mon corps sont dirigés vers lui. Je le regarde de tout mon être, comme le permet tant mon personnage. Sans pudeur, sans frontière. Être là, totalement là pour l’autre, pour toi, le frère humain qui est proche de ta mort.
Je ne joue pas. Par ailleurs tout est amplifié, densifié et précis dans la façon de le rencontrer et de me diriger vers lui en légèreté et affirmation. Je suis à 100% de ma présence.
Au moment où j’arrive tout près de lui pour enfin me présenter et lui dire bonjour, il explose en larmes.
_ »Ah ben? J’allais te dire que je suis docteur de la joie ! Ca te fait ça comme effet ? »
Et là, il prend le nez dans ses mains en prière, regarde au plafond et tente de se reprendre pour mettre en mot son émotion.
_ »Oh lala. C’est tellement fort. Je m’y attendais tellement pas ? (…) C’est vraiment fort. »
Je suis tout près de lui. Je lui touche son bras.
_ »C’est à dire? Tu peux me dire pourquoi ça te bouleverse? »
_ »C’est la façon d’être regardé. C’est wouahhh … c’est vraiment fort. »
Et il se tient son cœur. Il me regarde en pleurant.
_ »Oui. Je te regarde toi , pleinement, entièrement. Tout en toi.
Et c’est si fort pour toi ? »
Il reprend son souffle et me dit tout direct : « oh oui! (Silence ). Ca fait si longtemps que je me suis pas senti autant aimé… »
Et il pleure à chaudes larmes.
Ou lala.
Je reste sans voix. Je ne le quitte pas des yeux, lui le frère humain.
Je lui prends la main qui est sur son cœur.
Je suis souris de tout mon visage: yeux , bouche, sourcils.
_ »Oui … on profite alors! »
_ »Oui oui » ….
La musique nous accompagne.
Les soignants restés à la porte sont bouleversées et moi, totalement saisie par tant de justesse et d’ouverture de sa part.
Le moment suspendu est renforcé par les rayons du soleil qui envahissent notre chambre.
_ »Dis donc. Même le soleil t’aime! T’as un lien incroyable avec la lumière, toi ! »
Et il me dit que oui. Depuis toujours, il sent ce lien.
J’en profite pour lui faire ressentir puissamment la lumière du soleil qui, rentrée dans son cœur, va visiter ses jambes, ses pieds, son ventre ,sa poitrine, sa tête. Il ferme les yeux pour mieux ressentir.
Quel intimité pour deux êtres qui viennent juste de se rencontrer.
Il ouvre les yeux.
_ »Merci. Merci. Je ne l’oublierai jamais.
J’avais vraiment besoin de ça. »
Puis, on est sans mots.
Il me caresse la main. On savoure tous les deux, ces instants rares.
Pour qu’il se sente mieux, je lui demande de quoi il pourrait avoir besoin.
_ »Je n’ai besoin de rien. J’ai tout ce dont j’ai besoin. Je suis comblé. »
Comme je dois partir je lui sors une grande carte Anabelle.
Je voudrais tant qu’il n’oublie pas la belle sensation d’être aimé.
Je ne veux pas tricher. Être authentique à ce moment , c’est trouver les bons mots.
Je me souviens du début.
« Cher Christian. Je t’aime …. dans le présent. »
J’ai dû lui écrire pour finir : n’oublie pas la lumière ….
Je dispose la carte en face de son lit.
Son visage est très ouvert. Il sourit.
Il me fait comprendre que c’est tellement intense que je peux partir maintenant. Ce sentiment d’amour est en lui.
_ »Merci. Je me sens vraiment apaisé. »
Je pars.
Avec des baisers volants, je joue à lui envoyer des bisous sourires.
Merveilleux cet homme.
Merveilleuse, son ouverture …
Je fais plusieurs rencontres saisissantes tout l’après midi. Il y aurait tant à dire ….
Avant de quitter le service je rencontre une dernière personne: un homme de 70 ans qui travaillait dans le bâtiment , en escaladant les grandes façades d’immeubles. Après lui avoir envoyé des bouts de lumière par mes doigts magiques pour commence notre rencontre , il me raconte tout de suite qu’il était alcoolique. Peut être pour savoir si je l’accepterais autant, même en sachant ça de lui…
Puis, il me dit qu’il a vécu un coma, il y a des années. Il m’explique en détails qu’il s’est senti sortir de son corps puis une présence de lumière lui a fait comprendre qu’il fallait encore rester sur terre.
Il est revenu pour son fils, transformé. Plus Jamais jaloux et en sachant que le plus important était d’aimer et de rendre les autres heureux.
Quel bonheur pour lui de parler de son essentiel.
Il n’en parle presque Jamais. Là, à mon personnage, immédiatement, il le donne, son secret. Il a envie de partager ce qui l’a bouleversé dans son existence.
Il n’a donc pas du tout peur de mourir, mais de souffrir, oui.
Pourquoi me dit il tout cela ?
Il avait sûrement juste envie de parler d’amour.
Nous savourons son histoire.
Il sait qu’il n’est pas qu’un corps. « Nous avons une partie en nous qui ne meurt pas » m’explique t il.
Je souris d’approbation. Il sait que je pense pareil que lui. Pourquoi le dire davantage? Il ressent fort les êtres. Ca se voit.
Il dira juste après à l’infirmière qu’une rencontre comme celle que nous avons vécue, remplace tous les médicaments qu’on lui donne.
Quel beau présent pour moi de sentir que mon écoute lui a fait du bien.
Je pars après lui avoir fait écouter mon carillon magique, laissé une plume et une carte.
Tout est jeu, joyeux et léger.
Et dire que nous sommes aux portes de la mort!
Nous sommes surtout dans la puissance de la Vie.
Je vous le dis alors.
Encore une fois je l’expérimente.
Avec l’amour, tout est possible. La peur peut être balayée.
L’amour est la plus grande puissance.
C’est le secret.
Aimez-les et aidez-les à aimer, puis à s’aimer.
<3
Waouh ! Merci car de ce débordement d’amour j’ai pu profiter aussi : j’en prends et j’espère savoir le partager aussi ! 🙂
Ma chère Anabelle,
S’être senti aimé, porté par l’accroche d’un seul regard et d’un petit geste des doigts. S’être senti reconnu à cet instant comme unique, comme le seul dans ton regard. Sentir que ces yeux là ne nous lâcheront pas, ne se détourneront pas, mais qu’ils viennent nous chercher, comme pour nous prendre au creux de leur tendresse. C’est ce qu’a ressenti, sans doute, cet homme là, Christian, et c’est de l’âme agit.
Magie aussi de la clowne, docteur de la joie, qui dialogue avec lui avec les questions désarçonnantes d’un enfant qui s’étonne et interroge et est vraiment curieux de l’autre. Il n’y a plus de rôle, plus de convention, juste deux êtres, juste deux âmes, sans pudeur ni impudeur, le cœur à nu, enfin, au moins cette fois-là, cette précieuse et unique fois là.
Tu poses aussi, à la communauté des clowns, ce constat et cette question, ce que le clown peut accomplir par la grâce et la poésie de son personnage nous ne le pouvons qu’avec plus de pesanteur sans son habit de clown. C’est peut-être que le nez rouge offre des ailes et qu’il est alors plus facile de voler qu’à simplement battre des bras. On le sent bien, le passage qui s’opère de nous à notre clown nous déleste de tant de choses, du poids des préjugés et des convenances, autorisant des émotions que la vie ordinaire nous oblige à refouler. Mais c’est justement cette partie « folle » aux yeux de tous en société, qui redevient liberté d’être. Souvent, le costume de clown parait trop grand ou trop petit, c’est simplement qu’il est à la taille de notre enfant intérieur et pas à celle de notre adulte.
S’il te plait, continue, continue à regarder ainsi les gens, vr’aimant, et continue de nous le partager, vr’aimant, ça nous réveille le cœur et ça lave nos regards de leurs pesanteurs.
Merci, je te serre contre mon cœur, pour connecter nos énergie. Big hug à toi ma sœur.