Septembre 2016 , Unité de Soins Palliatifs

Comme elle a appelé et a gémi, il y a déjà une présence dans sa chambre.
La douce psychologue me laisse la place en me glissant à l’oreille que la patiente ne parle plus et a sûrement besoin de présence car elle gémit. Comme j’hésite à y aller, me sentant un peu inutile elle ajoute, confiante:
« Elle ne peut pas parler avec toi mais tu peux sûrement l’émerveiller ?! » me sourit-elle complice.
Parfois il suffit d’entendre à nouveau une phrase d’autorisation avec chaleur pour se lancer…

Quand je la vois sur son lit de fin de vie, je suis aimantée par son regard. Immenses yeux dans un corps si maigre.
Elle est très belle. Elle est d’origine africaine et semble immense, allongée, sans mots dans son lit.
Agonisante et si présente.

Que peut on faire face à une personne qui ne dit mot, mais qui a toute sa conscience?
Elle entend et par sa pupille qui se dilate fortement par instant, je comprends ses réponses et ce qui la touche.
Je comprends qu’elle n’en revient pas de me voir, toute blanchie, pailletée et vêtue de jaune or, dans ma tenue d’été.
Pour preuve , ses yeux qui s’ouvrent plus intensément et un sourire minuscule. Elle me regarde avec force et en détail.
Elle ne me lâchera pas des yeux.

Ce qui va se passer entre nous m’interpelle énormément encore, quelques jours plus tard.

Mais que faire face à ses yeux grands ouverts ?
D’abord je vais intensifier ma présence par la conscience de mes pieds, de comment je me tiens à ses côtés et comment je la regarde moi aussi, grande ouverte, sans aucune peur et confiante.
Tout va bien et je suis là.
Je respire très calmement, profondément et sûrement avec la piste de l’émerveillement en moi.

Je lui fais sentir délicatement et sans effort le parfum de mon poignet, en ne la quittant pas des yeux. Elle ouvre un tout petit peu plus son œil. Oui, elle aime les odeurs. Délicieuses effluves de rose authentique sur mon poignet. Une odeur qui peut bouleverser tant elle est fine et délicate.
« Ressens que tu deviens parfum. »
Une musique douce nous accompagne pour ce moment d’ouverture.
Tu ouvres la porte par les parfums.
Comme j’imagine qu’elle aime les odeurs plus intenses, je l’évente un peu plus tard avec un éventail parfumé à la fleur d’oranger. Un minuscule et infinitésimal sourire et son œil se densifie. Oui, elle aime ça.
Et c’est ainsi que je vais intensifier tous ses sens.
Sa tête s’étonne et me fait comprendre qu’elle est touchée quand elle entend les oiseaux. Oui ils sont là pour toi ….
Entends les.
Tu ouvres la porte, par les oiseaux.
Puis, en prenant le temps de la sortir de mon sac, ses yeux sont captivés pas la grande plume bleue. Oui, je l’ai sortie pour qu’elle voyage dans la couleur. Tu es plume bleue.
Je caresse son visage car la plume magique peut aussi enlever les pensées difficiles. ….
Tu ouvres la porte par le bleu.
Et je caresse ses bras avec ma main. Ses pieds bizarrement font des mouvements que je prends pour de la satisfaction.
Je sens un très grand sourire et une approbation. Les pieds sont avec la tête, la seule chose qu’elle bouge.
Le massage intuitif se fait sans insister mais dans une infinie douceur.
Tu ouvres la porte par la douceur.

Notre rencontre a peut être duré 25 minutes. Je ne sais plus. C’était hors du temps.
Alors que je me disais que j’allais partir, son visage s’est tourné vers la fenêtre. Elle était ailleurs.
C’est vraiment le bon temps pour partir.

Je lui dis au revoir de tout mon Etre.
Elle se retourne avec la qualité de son regard et une présence comme très rarement, on en voit.
Je fais de même. Un vrai contact, pur, dense et authentique. Je pars.

Elle va mourir les yeux ouverts, comme dit le médecin parfois de ces personnes qui gardent toute la conscience et fixent droit celui ou celle qui les rencontre.

Ce que cette rencontre m’a inspiré ?
Tandis qu’on a tendance à ne pas savoir trop quoi faire et quoi dire dans ce délicat moment, il est peut être bon parfois d’emmener en voyage le patient par la présence de coeur et par les sens.
Lui donner de vrais moments de joie par la seule écoute de mon intuition, sans jugement, me semble être une piste de qualité.

Ce n’est pas intelligent comme proposition mais de l’ordre du sensible, du petit et du grand.
Par délicatesse de mal faire et par manque de savoir, peu de gens vont prendre le temps de s’arrêter a ses côtés en pensant : »Mais quoi dire et quoi faire ?’

Par la présence créative du coeur et de l’intuition nous pouvons tout. Anabelle m’apprend ça.
La créativité avec du sens! L’audace d’être et de faire avec fantaisie et profondeur…
Nous ouvrons les espaces du grand possible.
Tout le monde peut le faire. Il faut juste créer dans l’inconnu et oser ce temps.
Et dire que j’aurais pu ne pas m’arrêter à ses côtés, par peur de pas savoir faire… Dépassons nos limites.