Le 2 en nous
Septembre 2016
Hier, j’ai vécu un moment de partage très intense qui m’a beaucoup questionnée sur l’état relationnel de notre monde et sur la qualité de nos échanges « en société ».
Il m’a aussi et surtout interrogée sur le 2 en nous.
Je suis allée en « Sandra » dans un parc à Paris écouter de la musique avec de belles personnes et beaucoup d’inconnus. Tout se passait assez bien. Les gens paraissaient assez détendus puis quelques uns paraissaient assez mal dans leur peau. Un peu comme partout.
J’étais pour ma part assez réservée, en observation et en acceptation de l’endroit avec ses codes.
J’étais là, tout simplement.
Puis en moi, un appel: l’audace de vivre pleinement un état et d’échanger authentiquement avec ceux que je croise.
Oui, je pourrais le faire en Sandra, mais en même temps, je sais que ce n’est pas pareil que lorsque je suis en Anabelle. En Anabelle, je peux passer la 5éme vitesse tout de suite, relationnellement parlant et me mettre en état de présence créatrice.
En quelques secondes, mon foulard sur ma tête a fait office de chapeau et mon nez rouge rangé joyeusement dans mon sac a donné vie au personnage. Je suis devenue l’état d’Anabelle.
2 mois sans mon clown sorti, c’était beaucoup trop!
Tout de suite l’évidence. Un immense hugh, une longue étreinte à donner à cet homme qui réclamait avec innocence, mon contact. Je sentais nos coeurs battre. Enfin, se retrouver là… Comme c’était bon.
Et faire durer cet instant très très longtemps, au delà du raisonnable. Ca,c’est le clown…
Je ne le connaissais pas et nous vivions une étreinte comme si je le retrouvais après plusieurs mois de séparation. Et pourquoi ça ne serait pas possible? L’échange plein, total, sans retenue. Un peu hors société. J’aime ce déraisonnable là. Il y a une jubilation de l’état d’enfant avec la conscience d’amour de l’adulte.
Dans cet après -midi où les rencontres étaient hésitantes, de loin, distanciées par respect et pudeur, je suis passée à autre chose: la rencontre vraie, immédiate.
J’étais avec une autre clown et Neztoile qui a fait de même. Nous avons décidé d’aller au café avec l’audace de tutoyer l’autre qu’on croise et de vivre ce qui doit se vivre, sans code…
Au début, de belles rencontres, des sourires, des imitations, des plaisirs avec une vraie connexion, mais rien de significatif, si ce n’est que donner de la joie me remplit toujours.
Et puis il y a eu Elle.
L’air vague, cette femme est passée devant le café. J’ai ressenti son désespoir, un » à quoi bon » total, la solitude et la marche désincarnée qui l’emmène car il faut bien aller quelque part. Autour de 70 ans, sa petite robe bien repassée, elle marchait seule. J’ai été happée par elle et je me suis dit: « Oh comme cette femme est mal…. »
En Sandra, j’aurais eu cette reflexion mais je l’aurais laissée passer dans son chemin de solitude, en lui envoyant discrètement de belles pensées. Je n’aurais jamais osé m’installer à sa table. Je lui aurais souri, oui. Mais m’aurait-elle vue?
Ah ouf. Là, maintenant, jétais en clown!
Tandis que je papotais libre, avec deux messieurs, les pieds en l’air retournés sur ma chaise, je l’ai suivie du regard.
Comme elle cherchait une place, elle a tourné la tête. Je lui ai tout de suite envoyé un baiser. Sa tête a fait 2 fois le tour rapidement vers moi. Je lui ai renvoyé un baiser. Elle a souri. Moi qui pensais qu’elle ne pouvait plus sourire, je lui ai re-souri vite avec des envois de baisers et je me suis levée pour lui installer sa chaise qu’elle avait choisie.
Assise à ses côtés, je ne l’ai pas lâchée du regard et je lui ai mis la main sur son épaule.
J’ai dû lui dire une phrase comme: « Ben, ça va pas! ? »
C’était pas d’un ton grave, mais d’un ton préoccupé, intéressé. Les mots choisis, je l’ai interrogée de tout mon coeur et tout ouvert avec mes grands yeux dans les siens et mon nez rouge pointé vers elle, dans une distance très respectueuse, juste bien pour nous.
Par habitude de l’hôpital, je ne voulais pas la distraire ou être dans l’évitement.
Allons, là tout de suite où ça crie. Je sentais que c’était possible.
A ma question, elle a répondu un peu effarée : « AH… ça se voit tant que ça? »
« Oh moi, je suis super sensible. Je ne sais pas si ça se voit pour les autres, mais moi je t’ai vue. »
Et elle s’est mise à pleurer tout de suite, là, au café d’été, tandis que je lui tenais ses mains fortement.
« Non, ça va pas. Je suis très triste. »
Et c’est comme ça que dans l’immédiateté de la rencontre, Evelyne, me raconte son désespoir. Ca fait 2 ans qu’elle a fait un AVC. Ca ne se voit pas mais elle a des difficultés d’expression m’explique-t-elle et ne marche pas bien. Elle se sent surtout immensément seule. Elle fait bien du yoga une fois par semaine mais ça s’arrête là.
« Je suis très très triste. » répète -t- elle.
De clown, je passe à Neztoile. Accompagner les personnes très malades ou en fin de vie, ça donne des outils. J’en ai plein dans ma besace mais encore une fois, là tout de suite, je suis toute délicate. Comment faire avec son immense peine, à elle? Il n’y a jamais de copié-collé dans la relation d’aide.
Même si ça parait tout petit, il faut d’abord qu’elle se sente comprise. Alors, quand je répète ses mots ou reformule sa détresse, elle me regarde toute chamboulée. « Oui, c’est ça me dit elle. C’est exactement ça. »
Elle a commandé un verre de limonade. J’ai insisté auprès du serveur: « Surtout avec des glaçons d’amour à l’intérieur! «
On a parlé verticalité et horizontalité. Elle se nourrit du vertical, c’est délicieux en elle mais il lui manque l’horizontal.
Je pense alors tout haut: » Ah oui, je comprends.. il faudrait beaucoup plus » horizontaliser » ! » Elle comprend l’intention de l’expression.
« OUi, c’est ça! » et elle en pleure.
Comme on horizontalise très bien ensemble, je lui propose la verticalité. Face au désespoir, c’est ainsi que je pratique.
Alors je lui ai proposé des types de respirations avec des phrases comme: « J’inspire la tristesse, j’expire tout ce qui est difficile…. J’inspire, je ne suis pas la tristesse, j’expire, je suis la joie. » Ce qui sous -entend que même si elle croit qu’elle est tristesse, une partie bien plus élevée qu’elle n’est pas dans cette tristesse. Elle l’a compris. Elle l’a même dit à voix haute, dans ce café d’été. Elle s’est ré-approprié les phrases. Elle a dit les yeux fermés: » j’inspire, je ne suis pas la tristesse, j’expire, je reconnais que j’ai quelque part de la joie », ou quelque chose comme ça.
Je lui ai alors beaucoup parlé du 2.
On croit souvent quand on est désespéré qu’on est 1. On croit être le désespoir. Alors qu’en fait, on est 2. Il y a un Autre en nous qui est Joie mais c’est tellement élevé qu’on n’y a pas accès. Le yoga peut nous permettre ce chemin, les respirations aussi. Et la rencontre qui élève (je pensais)….
Elle a dit qu’elle comprenait. Quand je lui ai dit que c’est comme avec les nuages qui cachent le soleil, elle a dit oui. Elle a même ri quand j’ai tenté de souffler les nuages-moutons dans le ciel.
Bref. J’ai osé aussi lui parler de sa dépression car les symptômes étaient bien là. Il faut peut-être qu’elle change ses médicaments? Ca c’est mon côté docteur Anabelle. A voir avec son psychiatre….
Il faudrait surtout regarder des films drôles, pour sentir mieux son 2. Elle a opté pour Fernandel.
A la fin, elle riait, comme si elle sentait que sa tristesse était bien là mais que son Autre aussi était là.
On a parlé de sa flamme à l’intérieur qui s’éteignait. Et moi, je lui ai dit qu’il fallait qu’elle l’attise et qu’elle ait toujours un peu la pensée de la surprise, de la rencontre, de l’amour. On se tenait les mains et elle souriait.
Je lui ai rappelé l’extra-ordinaire de la vie. Elle ne savait pas qu’elle allait me croiser aujourd’hui par exemple?
« AH non! » me dit -« elle.
« Eh bien, ne perds jamais ça en toi, cette belle pensée qui fait qu’on s’est rencontrées. »
Je lui ai susurré à l’oreille: « Pense à la Lumière! »
On s’est dit aussi que c’était bon l’humanité. » Oh oui!. » m’a t-elle dit.
Quand je l’ai quittée, elle m’a dit qu’elle allait souvent se redire les phases avec respiration. On s’est prises dans les bras et même embrassées déraisonnablement au moins 20 fois, car sinon, c’est pas drôle.
Et hop là!…je suis partie.
C’est bon, je peux enlever le nez. Mission accomplie d’Anabelle.
Mais comment pouvons-nous faire dans la vie sans nez rouge, pour rejoindre l’autre de la sorte? Je ne dis pas que j’ai changé sa vie.
Mais peut-être que cette rencontre authentique a permis un petit déclic, une caresse, un espoir?
Pourquoi l’humanité en est à un tel point qu’on ne peut se permettre ces accompagnements qu’avec un nez rouge? En Sandra, ça aurait sûrement été très intrusif. En Anabelle, c’était juste totalement possible et léger. C’était même poétique.
J’ai pensé alors que ce serait vraiment bien de créer des Neztoiles de rue! On en aurait bien besoin en ce moment…
L’art qui soigne dans les rues.
A nos Neztoiles qui sont à l’intérieur de nous tous! Aidons les solitudes.
Osons! Osons! Osons!
Et à toutes les Evelyne qui sont dans le noir.
Ne perdez pas l’espoir de la rencontre et pensez à la joie de votre 2!
Soyez juste au-dessus de vous à vous observer ou très profondément en vous à vous reconnaître. C’est la même chose.
OUI JE VEUX BIEN ETRE UNE NEZTOILES DE LA RUE AVEC PLEINS D AUTRES;; QUELLE BELLE AUTRE MISSION;;; MOI J AI PAS DE NEZ! mais des pee tits flacons qui sentent bon la vie et qui petillent la joie et l amour , quelquefois j ai des pinceaux dans les mains et je mets de la couleur aux murs des gens tristes.. mais oui la rue ..ya tant à faire, dans la rue , là ou les gens qui passent se sent seul m^me s ils sont des millions, oui on y va dans la rue… prendre leur main et faire quelques pas ensmeble///
c est bo^^^^^^^ ce que tu nous partage, Merci Annabelle, Merci Sandra, Merci d oser ce que tu aimes tant faire!
je te souris; Maly
WAOUHHHHHHHHHH! moi j’adore ce 2 en 1…. Ce que tu expliques me parle tellement… je trouves souvent les gens si tristes dans la rue sans oser aller vers eux….j’aime l’idée de « neztoiles de rue »
Merci Sandra pour ce témoignage…
A bientôt
comme c est intéressant
Oui dommage de devoir mettre le nez pour aider ss être intrusif…merci belle Anabelle, pour ton récit…
Alors pour devenir une Neztoile de la rue : quand tu veux… Je suis convaincue : dans ma toute petite expèrience de clown, je suis surprise de l’impact dès l’apparition de mon clown alors que je n’ai pas encore ouvert la bouche ! Les regards changent, on dirait que je touche une autre personne à l’intérieur : le 2 sans doute !
Merci pour ce beau partage et j’espère à très bientôt. Je t’embrasse avec toute la sincérité de mon clown. Plein de joie, de légèreté…
C’est super et tellement vivant ! je sens jusqu’ici l’amour qu’Anabelle peut donner et cela me touche beaucoup…. Bien envie d’avoir cette audace aussi ! Merci pour ton écriture. Bisous
J aime ce moment de liberté de clown quand en lilly je serre dans mes bras enfants,adultes ou seniors pour « un câlin gratuit »…peu importe l âge c’est la même intensité de joie que je lis sur leurs visages ,c est un moment magique qui me remplis de tous ce qu il y a de plus merveilleux dans l instant . Et vous savez quoi!!!c est contagieux. Alors Neztoile de rues je dis OUI…
Je t’aime Sandra-Anabelle, j’aime ton 2! Ce n’est pas je pense qu’on ne peut pas apporter de la joie sans le nez, mais c’est surtout qu’avec le nez on le touche plus facilement et rapidement, comme tu le dis si bien! Même moi, qui vais bien, quand je regarde Anabelle et que je l’écoute, elle me fait du bien et touche mon clown intérieur! C’est aussi que la vie a pris une tournure bien trop sérieuse! Alors le déguisement rassure l’autre, c’est un personnage qui lui parle et ça le sécurise, ce n’est pas un humain (pas si humain que ça)comme la personne a pu en rencontrer : blessant, décevant,voire violent, il y a dans le clown cette certitude qu’il va être drôle et sympa, avec l’humain c’est pas certain…je t’embrasse fort avec plein de paillettes dedans!