Le voyage ou pas…
Il est allongé sur son lit. Il a dans les 67 ans. C’était son anniversaire hier mais je ne me souviens plus de son âge exact.
Ca fait 15 jours que je ne l’ai pas vu. En Soins palliatifs, c’est beaucoup.
Il paraît bien plus confus mais pourtant tellement lucide. Il perd les mots mais je le comprends tant.
Il sait dire l’essentiel avec moi et il me reconnaît et m’accueille de tout son être. Ouf!
Après avoir lu ses paroles essentielles recueillies sur les post -it au mur, restées depuis notre dernière rencontre, je descends la barrière de son lit. Je m’assieds sur son lit et nous nous prenons la main.
Les yeux dans les yeux, il est tout heureux.
Il paraît toujours aussi émerveillé de me voir.
Il m’avoue être très seul en ce moment. Et très accompagné aussi.
Il me parle de sa maman et de ses amis.
Les morts et les vivants se côtoient.
Quand ses mots et ses maux sont sortis, je lui dis un peu plus tard:
« Laisse la musique entrer en toi. »
Et Grieg arrive. Je l’emmène donc dans une forêt.
« Les animaux viennent te saluer. Tu es dans la prairie et tout le monde vient voir le roi. »
Il rit à cette idée. « Moi, un roi? »
« Ah oui. Tu es un roi. Et les animaux le savent. Ressens les biches, les cerfs , les petits lapins et les oiseaux. »
Il a les yeux fermés et sourit totalement.
« Tu aimes les animaux ? »
« Oh oui ! »
« Eh bien ils le sentent. C’est pour ça qu’ils sont là. »
Ca me parait toujours surprenant, après coup, mes choix d’univers.
Pourquoi l’ai-je imaginé avec des animaux, alors qu’il ne m’en parle pas?
Quand je suis en Anabelle , ma créativité m’emmène souvent dans le vrai, le juste, là où les patients sont très heureux. Par ma pratique artistique, je ne suis plus dans le mental et il faut que j’ai confiance en une seule chose: mon intuition.
En fait, c’est l’autre qui m’emmène et me guide. Voilà le secret. Alors que de l’extérieur, bien entendu ça peut paraître le contraire. Mais un accompagnement réussi ne se programme pas. Il faut savoir se laisser faire.
Je le fais par la suite devenir oiseau pour qu’il voyage avec eux au dessus dans la prairie.
Il est tellement d’accord qu’il bat des ailes en musique, là, couché dans son lit.
Il a une vitalité quand il bat des ailes, main dans la main avec moi, c’est fou! Même moi,j’en ai mal au bras.
Mais il est si heureux de le faire en rythme que je le suis, en dépit de mon inconfort.
« Et tu veux aller où ? »
« Je veux aller dans la profondeur …. »
Mon regard étonné et respectant son tempo, attend la suite.
« … du ciel. »
« Ah oui? On y va ?…C’est quel couleur ? »
« Bleu … bleu intense. »
On y va totalement.
Et on va tellement au plus profond du bleu, que je l’emmène dans une grotte.
Dans la grotte, il y a une grande lumière. C’est un joyau.
« Qui y a t -il dedans ? »
Il ouvre ses yeux et avec évidence : » Il y a Vous!? »
Je souris.
« Oui. Moi. C’est vrai. J’y suis aussi. »
Il embrasse plusieurs fois ma main, de reconnaissance et de bien-être.
Alors on se laisse planer. Il me dit encore qu’il a été très gentil dans sa Vie et que c’est l’amour le plus important.
« Oui. »
Il est fatigué. Je pars.
J’apprends un peu plus tard par le médecin qu’il était très mal ce matin ….
Émerveillé avec Anabelle ça ne se voit pas du tout. Il était tellement serein et heureux avec moi …
Tandis que je n’ai rien pu pour la patiente suivante très dépressive qui se disait en perdition, lui est parti dans les airs. Il m’a embrassé plusieurs fois les mains et oui, nous avons été ensemble dans un espace intermédiaire joyeux.
Ce sont les patients qui font tellement tout le chemin. Je les « r’éveille » ou pas !
Combien ça a été dur avec cette patiente suivante que j’accompagne depuis plusieurs
semaines et qui plonge dans une immense dépression et désespoir.
« J’ai envie de mourir. Je suis en perdition. Je suis tout le temps fatigué. C’est normal? »
Je suis entièrement avec elle. Je représente tant pour elle. Mais ce jour là, je ne peux
pas la rejoindre. Je suis impuissante.
Quand je le dis, que ce sont les patients qui font les 90% du chemin avec mes 10% de créativité
thérapeutique totale!….Parfois, ils peuvent faire le voyage et parfois non.
C’est aussi pour cette raison que je peux tant faire avec eux et faire si peu.
Je ne peux pas faire plus que tout ce que je propose, yeux dans les yeux, dans le contact, avec toute ma créativité et légèreté profonde.
Je dois accepter de la laisser dans son obscurité.
MAis quand ils font le chemin vers moi, avec moi, je réveille alors leur poésie, leur coeur d’enfant et tout devient possible, comme quand on avait 5 ans.
Ca complète parfaitement leur maturité d’être .
Il a eu bien raison ce patient roi, de se donner la joie de voler comme un oiseau en chantant sur la musique.
C’est étrange.
J’ai souvent remarqué que les êtres qui avaient le plus grand coeur étaient aussi ceux qui pouvaient le plus s’émerveiller.
Drôle de constat.
Et toi qui me lis, partirais tu en voyage ?
Les emmènerais tu dans les profondeurs du ciel ?
C’est simple. Il suffit d’y croire.
Encore faut-il ne pas être trop dévasté de l’intérieur …
Humilité et respect.
Merci Anabelle. Ton texte résonne en moi car en ce moment des proches dans ma famille sont fragiles et je pourrais mieux aller vers eux pour les soulager par cette écoute, cette poésie, ce voyage. Nad
Oh ! Quel témoignage…. Moi qui suis bénévole comme clown-conteuse, j’aimerais tant avoir se rapport, après ma séance, pour voir, se qu’ils ont gardé de magique dans mes contes….. Merci…. merci
Superbe mise en mots de ton expérience… Merci de partager ces moments intimes avec pudeur, respect et émotion.
Armelita (qui passe par la parfois!)
MERCI IMMENSE, ainsi même confinée christelle reçoit tes mots qui calment ses maux
je t’embrasse du fond du coeur
bon vent à toi BELLE anabelle