Le doute
Mai 2016
Aujourd’hui en soins palliatifs, la femme d’un patient s’est mise devant moi et m’a regardée de bas en haut.
« Non mais franchement… Franchement… Les enfants, je comprends… mais vous, ici… ! »
Là, il a fallu que je puise dans tout le bon sens de cette pratique, les rencontres fabuleuses pendant toute ces années, mes certitudes… pour ne pas partir en courant, en m’excusant d’être là, en joie et féerie.
Je lui ai tout de même glissé que je lui souhaitais de tout cœur d’être toujours émerveillée par la neige qui tombe et de toujours observer les détails des choses, regarder les fleurs…
« Oh ça fait bien longtemps que je ne m’émerveille plus. »
« Ben c’est justement pour ça que je suis la… »
« Mouai… » Me répond elle en hochant la tête.
Et pourtant elle sourit en me parlant car quand même, ça doit vraiment se voir que je suis gentille.
« Ah…. avec l’âge ! » Me dit elle quand je la quitte.
« J’ai quand même des centaines d’années… » Je lui réponds en faisant sonner les clochettes.
Elle rit mais agite sa tête de « n’importe quoi »…
Ou la la. Je sens qu’intérieurement elle a marqué un point, une pointe de fer dans mes croyances et rêves d’art-soignant. Et si je racontais aussi quand ça ne marche pas ? Car ça ne marche pas tout le temps…
Et non. Les gens sont tous différents. Intérieurement, bien entendu que je doute de ma pratique, de ma place en Neztoile et de la justesse de mes propositions. Je sais aussi que l’accompagnement dépend de l’autre, de sa capacité à se saisir de l’imaginaire apaisant… Alors qui vais- je rencontrer ? La journée va t elle s’éclairer à mon contact ou je vais agacer ceux que je croise ? Un peu dépitée, je vais dans d’autres chambres car le doute et-ou solitude se sont tout de même un peu immiscés en moi.
Puis des rencontres… Une rencontre !
Quand je quitte Marie-Claude, après respiration d’oiseaux et meilleurs souvenirs dans son cœur, je la remercie pour son accueil. Elle me répond : « merci pour la joie », avec mains sur le cœur. Elle est détendue et totalement ouverte et calme. Elle demandera aussi à se faire photographier avec sa fée.
Elle ne sait pas qu’en vivant de tels moments de joie avec moi, elle me permet de continuer, d’en rencontrer d’autres comme elles, en fin de parcours.
Car oui, je doute. Je doute parfois de cette audace de joie et elle a raison, complètement raison la petite dame du début : « Franchement ! Non mais franchement, quelle idée… »
Ben, c’était plus fort que moi !
😌
Merci pour ce témoignage…. c’est fort aussi de partager les doutes et de dire quand ca marche moins bien, et que l’on est ébranlée,… provisoirement !
J’adore « J’ai quand même des centaines d’années… » en contradiction apparente, en décalage, avec l’allure, le rire, et les clochettes d’Anabelle !! et du coup c’est d’autant plus rigolo… ! Et la vérité profonde de cette phrase.. la sagesse profonde séculaire,qui a l’age des montagnes et des oiseaux, des océans, la sagesse millénaire d’Anabelle.
Merci !