Pas de frontière, au seuil de la mort…
3 mai 2017, unité de soins palliatifs Paris.
S’attendre à rien, proposer tout.
Comment résumer toutes ces rencontres au seuil de la mort et la diversité des besoins et des réponses ?
D’abord une joie de revoir cette femme de plus de 80 ans qui ne cesse de répéter que je l’ai émerveillée, sincèrement et profondément marquée la semaine dernière. Je lui ai tout simplement permis d’être elle ne cesse t’elle de me dire.
« Et c’est le plus important. C’est impressionnant le bien que vous m’avez procuré la semaine dernière. Vous m’avez enchantée, émerveillée. Ça me fait un tel bien votre présence ! Avec vous, je suis moi-même… Vous êtes tellement belle et inattendue. Et toute cette beauté, cette fantaisie ça fait du bien. Et vous êtes d’une finesse ! »
Vous aurez bien compris que c’est elle qui est fine…
Comment recevoir tous ces compliments ? C’est important pour elle que je sache bien les recueillir. C’est un temps d’humanité et de rencontre. Alors j’accueille et je souris. On avait mis dans une enveloppe ses trésors de pensées. Oui, elle s’exprime tellement bien. Elle me redit :
« Vous n’avez cessé de me dire que c’était beau ce que je disais. »
Et je le lui redis sincèrement ! Mais elle a du mal avec ce compliment.
« Oh… Non pas du tout. Mais le plus important c’est d’être soi. C’est difficile d’être soi-même et de ne pas être jugée. Vous me permettez d’être moi. Ça m’a soulagée. Avec tout ce que je vous ai dit !… »
Je reçois et pense. Que peut il se passer de plus intense dans cette séance ? D’aussi significatif ? Une idée me vient subitement. Alors, je la prends cette idée, car ce n’est pas réfléchi. J’aime quand ça surgit tout à coup, sans savoir pourquoi. J’ai confiance en cet endroit. Je le dis de manière enjouée, innocente, sans conséquence.
« A qui aurais tu envie de faire une déclaration d’amour ? »
« Ouh lala. Une déclaration ? A ma fille ! »
C’est le cri du cœur.
« Mais je ne saurai pas du tout le faire. »
« Et si tu savais, tu lui dirais quoi ? » dis -je en riant.
« Que j’aimerais qu’elle m’accepte telle que je suis. C’est important. Je voudrais juste qu’elle me dise : je te comprends. »
Allez vite. Je sors un stylo.
« C’est comment le nom de ta fille ? Chère Marie-Claire. C’est pas facile d’être acceptée pour soi-même. J’aimerais tant que tu me dises tout simplement : je te comprends…«
Elle est âgée Renée et elle n’entend presque rien. Je choisis donc mes questions que je hurle à son oreille.
« Et tu lui dirais quoi d’autre à ta fille ? »
Et elle parle sans s’arrêter. Quand sa phrase est essentielle, je la note. Ça se ressent une phrase essentielle. Ça l’arrête. Ça la surprend. Entre toutes ces digressions, et il y en a plein car elle a vécu beaucoup de blessures visiblement et différentes problématiques de vie, je note ses phrases les plus importantes pour créer une lettre resserrée, une lettre qui montre le fond de sa pensée, sans barrière, sans blabla.
« Et là, maintenant tu lui dirais quoi ? » Je crie. Et vite, je note. C’est un peu drôle de l’extérieur mais c’est tellement fort en même temps. Ça fait peut être 10 minutes que je suis dessus pour écrire seulement quelques vraies phrases. Puis le paquet sort. Elle me dit :
« Je lui dirai : Tu es une des plus belles choses qui me soit arrivée. Je suis fière de toi. Tu es ma fille. Je t’aime. »
Elle me regarde. Stupéfaite. Suspendue. Elle l’a dit d’une traite. Elle n’en revient pas de l’entendre ainsi si simple, si fort.
Alors, je lui montre sa petite lettre que j’ai écrite, reprenant ses pensées les plus fortes. Elle la lit à voix haute.
« Oh dis donc. De le lire comme ça, ça me fait encore quelque chose. C’est fort ! C’est peut être encore plus fort de le lire ! »
Elle la lit jusqu’au bout. « Ah merci ! Ça c’est toute ma pensée. C’est parfait. Ah mais je ne pourrai jamais lui dire ! »
« Mais si, puisque c’est fait. Plus qu’à lui donner ! On la met dans une enveloppe ? »
Elle me dit que sa fille la lira le jour de sa mort. On pourrait pas écrire plutôt : « A lire le jour J. Et le jour J, c’est quand tu le décides ! » Ah la bonne blague. Elle me regarde complice. Car elle sent bien les tentatives de ma proposition et elle est d’accord avec ça.
« Oui, oui. Ça me va parfaitement. »
L’enveloppe du jour J est sur l’autre, avec ses trésors de pensées. Elle ne cesse de me remercier.
« Vous m’avez libérée. Merci. Vous m’avez accouchée. » Je souris.
« Non, Non. Ne croyez pas que je vous flatte ! Vous êtes vraiment très importante pour moi. Vous êtes un merveilleux souvenir. Je penserai à vous jusque … à la fin. Pour toujours ! »
« Vous devez me trouver bête ! Ah c’est tout de même ridicule avec ma fille. Mais ça doit arriver à plein d’autres ? »
« Oui, oui. » Je la rassure. « Ça arrive à d’autres mamans. »
On se prend les mains. Je reçois tous ses mercis alors que j’en ai tant pour elle. Je la sens libérée mais chamboulée.
Je fais donc des blagues de départ pour alléger tout ça. Surtout ne pas être trop triste la maintenant. Ce serait inutile. Pourquoi être désolée ? Tout est dit et ouvert… On se fait de bisous volants.
A la semaine prochaine ! Merci !
Le reste de l’après-midi sera tout à fait surprenant et changeant. Des voyages.
Rencontrer un anglais et lui parler comme je peux pour l’aider à s’apaiser avec mon anglais très approximatif mais avec la légèreté d’Anabelle rendre ce moment souriant et calme.
Ne pas être acceptée par une femme en si grande souffrance sur son siège qui passe son temps à me dire Non et être OK avec son refus.
Danser une danse orientale sur Anouar Brahem avec une femme algérienne dont le mari est en fin de vie. Mettre la musique dans la chambre et lui faire ressentir sa puissance de femme qui accompagne : « Ressens la musique, laisse entrer le soleil, les grands paysages, le souffle… ! » puis danser en face à face. Ressentir ses mains, la douceur de son pull et de ses sourires et ne pas la quitter des yeux. « Tu ressens ? Tu ressens ? » « Oh oui. Ca me fait du bien ». Et insister sur le déhanché du bassin. Aimer la sensualité du corps sur cette musique enveloppante. Vivre et sourire. Puis recevoir ses mercis et partir.
Rencontrer dans une autre chambre un égyptien de 38 ans qui ne parle pas français. Le faire respirer et le faire sourire honnêtement, vraiment. Partir en rire et douceurs rythmées par ces : « vous êtes gentille ! Merci. », les seuls mots qu’il connaît en gros.
Passer dans la chambre de ce vieux monsieur qui demande avec grand intérêt si ce rendez vous est un hasard ? Lui répondre à la Eluard, qu’il n’y a pas de hasard mais que des rendez-vous et le faire chanter 15 minutes plus tard sur La Moldau de Smetana orchestrée joyeusement dans sa chambre.
Puis finir avec cette dame paraissant si âgée, cambodgienne, magnifique sur son lit, le visage entre 2 mondes et proposer une chaîne d’amour en se tenant tous les mains avec sa petite famille (fille, beau fils et petit fils), soutenus par une belle version du sutra du cœur chanté pour l’apaiser « om mani padme hum ».
Et oui. Je travaille en soins palliatif. Pas de couleurs. Pas de frontières. Nous sommes tous à égalité face à la mort. Nous sommes tous frères et sœurs. Que c’est bon de le vivre. Pas de frontières au seuil de la mort. Pas de race, pas de nationalité. Des êtres, sur le départ. Toi, l’humain.
Magnifique! Merci…
Bravo Dr de la joie. ….Ami FB.
Merci Docteur de La Joie. Merci. Pour ceux qui partent et ceux qui restent, pour eux et pour nous, compagnons de route. Merci.
(Sourire)