Le temps de la joie
Elle m’accepte alors que la dernière fois elle ne voulait pas de moi.
La semaine passée, elle venait juste d’arriver en soins palliatifs quand je l’ai rencontrée, cette petite femme de presque 80 ans. Je crois qu’elle voulait surtout rester seule.
Je me suis présentée à elle en tant que docteur de la joie et on a parlé respiration.
Comme je la sentais angoisée, je lui ai proposé de respirer et de souffler tout ce qui est difficile.
Elle m’a dit:
« Ah oui! ben c’est du yoga. »
« OUi ..enfin, si tu veux. alors, tu peux inspirer le calme et… »
« Oui! enfin c’est du yoga. J’ai déjà fait…. »
« Euh…oui…ben alors justement, tu peux inspirer et expirer profondément… »
« Oui oui…je connais c’est du yoga… »
Je n’ai plus insisté. Je l’ai laissé dans ses affirmations tout en m’étonnant qu’elle ne profite pas de tout ce qu’elle avait vécu en matière de pranayama.
Ce n’est donc pas le moment pour elle. Quel étrange moment que celui que nous avons partagé. Ca m’interpelle sur nos ressources et sur ce que nous pouvons en faire. Pourquoi ne pouvait-elle pas se reconnecter avec une partie d’elle qui sait respirer? Elle n’était pas disponible. Peut-être trop déstabilisée par cette arrivée en soins palliatifs.
J’avais donc un peu d’appréhension, avant d’aller la voir ce mardi.
« Bonjour… On se connait. Je t’ai vue il y a une semaine. »
« OUi…Je vous reconnais. »
Le ton est totalement différent. Je la sens ouverte et très présente.
« Tu te sens comment de l’intérieur? »
« Pas très bien. »
J’effleure la respiration pour aller mieux et elle me répond
« J’ai compris que je n’en n’aurai plus beaucoup de respirations. »
« Ah bon ? Et c’est à dire ? »
« J’ai compris que c’était bientôt la fin… »
Je l’interroge, toute ouverte.
« Et ça te fait quoi ? »
« J’ai peur. »
« De quoi ? »
« D’avoir mal. »
Je la rassure sur le service. Si c’est bien un endroit où ils accompagnent la douleur, c’est ici…
« Et si tu n’avais plus mal, as tu encore peur ? »
« Oui ».
« De quoi ? »
Elle réfléchit un long moment.
« Je ne sais pas. »
« Et si cette peur était un animal ? »
« Je ne sais pas . »
« Une couleur ? »
Elle prend à chaque fois un vrai temps pour être au plus près de sa vérité. Elle a son propre espace-temps.
Elle me répond quelle ne sait pas, puis elle dit:
« Mélangée ».
« Et serais tu partante pour enlever le mélange ? »
« Ah oui. »
Je l’invite donc à respirer de son coeur et à enlever le mélange par la pensée.
« Tu arrives à le faire ? »
« Oui. »
Elle est allongée. Je ferme les yeux avec elle pour souffler sur son mélange et j’ouvre les yeux.
Je remarque alors que son visage s’est transformé.
Elle a un visage très ouvert et souriant. Son visage repose sur son oreiller tout en ouverture et abandon.
Je lui parle tout doux à l’oreille.
« Tu te sens bien ? »
« Oui. »
« As tu encore peur ? »
« Non. »
« Peut on dire que tu es heureuse ? »
« Oui. »
« Est ce à dire que c’est la vraie joie? »
« Oui ».
Je ressens son être tout entier profondément apaisée et très heureux, elle qui avait tant peur.
« Je vais partir. Je te laisse dans ta joie. »
« Oui. »
« Tu te souviendras ? Dès que tu as peur, enlève le mélange. », je lui souffle, toute légère et souriante.
Je la laisse en béatitude sur son lit d’hôpital , complètement émerveillée par son expérience véritable de joie au seuil de La mort …
Mais que c’est bon et rare de voir ça! Nous pouvons passer les mélanges de la peur. Et si nous l’acceptons, nous trouvons la joie.
Merci.
Magnifique comme toujours. Je suppose que tes pieds marchaient sur des nuages quand tu es sortie de la chambre…Bisous
Quel don et force tu as d’aider ces personnes qui sont proches de la mort, de l’au delà.
C’est vraiment incroyable, je suis toujours admirative devant ce que tu fais, tu es une fée du bonheur et de la douceur
Belle journée à toi
m a chére Sandra, encore une fois tu me mets les larmes aux yeux, je ne pleure pas de tristesse, mais d’émotions, tu travailles comme un e funambule sur ce vaste fil de la vie, tu te risques toujours en posant des questions que personne ne pose, ne souhaite pas poser, à chaque fois tu avances doucement, avec légèreté, avec juste ce souffle, que l’on entend à peine, en équilibre, laissant à l’autre la réponse gentiment sans pression. Tu as un don, tu voyages sans tomber entre toutes les incertitudes, à créer un pays ou le soleil ne se couche pas