La fin de la traversée
OCTOBRE
On est le 12. Ça fait un mois que je sais qu’il va revenir après avoir arrêté tous les traitements. Il en avait marre d’être un patient. Il a pris le risque de vivre sans être un malade, sans venir à l’hôpital mais avec quelles conséquences ? Il vient voir ça aujourd’hui , au niveau de son corps. Je dis aux soignants qu’il faudra me prévenir quand il sera là.
La super complice aide-soignante court vers moi. « Il est arrivé. Il est en salle d’attente. Je te l’amène ? »
« Oui merci. »
Je suis dans une grande salle où j’ai reçu un patient. Je l’attends, du bout du couloir.
C’est bon de le voir arriver vers moi en marchant. Ça change du lit. Il arrive avec une petite valise, marchant tout doux.
Je l’attends avec ma lanterne étoile.
« Je suis tellement heureuse de te revoir. Je savais que tu serais là aujourd’hui. »
Je crois qu’il mesure ce que veut dire être accompagné. Il me sourit.
« Viens, viens, installe toi. »
Je suis toute ouverte et disponible. Assise en face de lui.
Il va bien. On prend le temps de le savourer.
Ça lui a fait du bien de se couper de l’Hôpital. On en parle beaucoup et je mets une musique douce, en ouverture de coeur.
Il décrit l’homme qu’il est devenu. Il pleure. Il est devenu tellement sensible.
Il ne sait pas quel chemin il a fait pour devenir cet être mais il s’étonne de ce qu’il découvre de lui.
Il a passé 3 heures à Alinéa, par exemple. Juste pour profiter de chaque lumière , de chaque courbe des objets, chaque ambiance. Être attentif à tout. Prendre le temps de contempler sans raison. Ça lui fait ça partout. Même quand il fait des courses au super marché. Rester 10 minutes sur la couleur rose du jambon et s’en réjouir.
On sourit.
« Tu te rends compte Anabelle ? Avant, ça m’aurait pris 20 minutes de faire les courses.
J’allais juste choisir un produit et l’acheter rapidement. Maintenant je contemple. Je savoure le temps, je ressens les couleurs, ce que procurent les formes des objets. Je les ressens en moi ….
En fait être malade, ça m’a ouvert à la vie. » Il est ému.
« Oui je sais, ça peut paraître fou mais sans cette maladie je ne saurais pas vivre. Je lui dois tout. »
Comme il est incroyable pour lui de vivre ce virage. Il n’en revient pas.
« Mais c’est pas moi cet homme ? Je suis tellement à vif, ouvert , sensible à tout. Moi qui étais si dur. Ce n’est pas moi. »
« Mais si c’était vraiment toi ? Celui de l’intérieur. »
« Oui oui. Ce doit être ça. » me dit-il en tout honnêteté.
Il m’explique ensuite combien il a besoin d’être là, à l’hôpital. En fait, il doit tout le temps faire des efforts avec les siens. Rassurer sans cesse, ça prend de l’énergie.
Ici, à l’hôpital ,il n’a pas besoin de porter un masque. Il a le droit d’être malade. Aucun effort à faire. On va l’accepter tout entier. C’est tellement reposant.
« Je me pose ici. »
Je lui propose alors une expérience.
Comme il aime être au ralenti, je lui mets comme musique Arvo Part, « fûr Alina ». Je lui conseillerai ensuite seulement les morceaux 1 et 2 de l’album. Je lui fais fermer les yeux.
« Ressens la respiration calme. Tu inspires et expires. Plus rien d’autre à faire que respirer. Et tu te laisses aller au rythme de cette musique. Elle te porte. Tu te laisses être. »
Je n’ai pas beaucoup parlé. Je lui ai rappelé le lac de montagne. Et j’ai redit. « Pense cette phrase : Je suis. Et deviens JE SUIS. »
C’était bon.
Ça a duré 10 minutes car on a mis que la numéro 2.
Il a ouvert les yeux et il m’a dit : « Wahou c’était tellement fort. J’ai eu l’impression de flotter. Non mais vraiment. Je n’étais pas dans mon corps. C’est incroyable. C’est comme si j’étais à l’horizontale bien au dessus de mon corps. »
On s’est réjoui de son état serein.
Il m’a dit combien ça lui fait du bien ma présence.
Car il va vraiment bien maintenant. Il est rempli.
Il m’explique alors que de me voir comme ça en Anabelle, c’est énorme pour lui.
Il m’explique.
« J’étais dans l’ascenseur. Je reviens à l’hôpital et au bout du couloir, il y a toi, avec ta lumière. Dans mon cœur, je sens qu’il va se passer autre chose. Tu montres un autre chemin, habillée comme ça. Le cerveau ne comprend pas le lien entre toi et l’hôpital. Tu me transportes tout de suite vers un ailleurs. C’est fou de te voir ici. C’est vraiment merveilleux. »
« Ah oui ? Ca t’aide de me voir comme ça ? »
Je suis toujours et encore étonnée de mon utilité en personnage de Neztoile.
« Oh oui ! Mais c’est merveilleux. C’est hors hôpital. Et c’est en lien avec d’autres mondes. »
Un peu plus tard, tandis que je m’émerveillais de son chemin de conscience qu’il faisait , il me dira combien j’y étais pour quelque chose.
« En fait, quand je t’ai vue pour la première fois, j’ai senti que j’avais le choix. Il fallait que je change de direction, sinon je ne m’en sortirai pas avec la maladie de ma femme. C’est comme si il y avait 2 voix de train. L’une était arrivée au bout. Et l’autre allait tout au loin vers l’infini. Et j’ai décidé de prendre cette voie vers l’infini. »
Je suis très touchée car je l’ai senti.
« Oui tu m’as acceptée quand c’était si dur. Comment as tu fait ? », je demande, curieuse de l’intérieur.
« Je t’ai ressentie. J’ ai senti que tu pouvais proposer autre chose. Et j’ai accepté. »
Il ne sait expliquer le chemin pour être maintenant tant apaisé et heureux.
« Oui je vais vraiment bien maintenant, même si mon corps ne va pas bien. C’est une certitude. »
Il est beau près de son lit de malade. Tellement digne et lumineux.
Il me remercie pour ce chemin.
Je lui envoie un immense bisou-main ….
Quel grand être. Il m’apprend que c’est possible. Avec la conscience éveillée, tout change, se transmute.
Je m’incline. Une vraie belle rencontre dans ma vie étoilée.
JANVIER
J’apprends à l’hôpital par la psychologue, les larmes aux yeux, qu’il est mort brutalement en pleine nuit, chez lui. « Oh ! Je ne le reverrai plus… » je pense immédiatement.
Parfois, nous n’avons plus les mots. Qui peut avoir les mots ?
Chacun fait avec ce qu’il est et avec ce qu’il a vécu avec lui.
Je ne suis pas triste, non vraiment pas, mais je suis touchée. Je pense à ce bel être que j’ai eu la chance de rencontrer et à cette nouvelle étoile qui vient de briller. Nos rencontres si profondes et tellement au-delà du temps et de l’espace, vont vraiment me manquer.
MERCI.
Bon voyage, l’ami. Oui, tu es devenu mon ami…
J en ai les larmes aux yeux
Merci… Quelle belle rencontre… Merci…
Je suis bénévole d’accompagnement et je vis des choses magnifiques comme ce récit mais c’est difficile pour moi parfois de l’exprimer avec des mots.
Je dois beaucoup à ces personnes que j’ ai accompagnées, merci à vous pour ce témoignage. Portez-vous bien !!!
Ce patient est beau, Annabelle est belle, la musique est belle, ce moment est émouvant et précieux. Cette rencontre, ce lien est profondément humain et touche notre âme. Cet homme est certainement parti de l’autre côté du voile en pensant à Annabelle, cette petite lumière qui lui indiquait le chemin du grand voyage.