Du jeu et du merveilleux dans l’accompagnement de joie
Je donne des formations pour soignants afin de les aider à accompagner dans la joie. Les stagiaires soignants sont comme les patients que je vais voir. Mon objectif est de les faire voyager dans de nouveaux espaces intérieurs de joie. Des plaines vastes, des joies sans raison, des états créatifs de liberté, de respirations et de calme ou de fantaisie pétillante. Certains les ont déjà un peu visités, d’autres, pas encore. Mon défi est de les emmener dans les joies profondes en associant l’art du clown à des pratiques de bien-être.
À mi parcours du stage en ehpad, vu qu’on est sur place, pourquoi ne pas aller voir les personnes âgées avec nez et chapeau ? Après avoir bien travaillé toute l’intériorité de la pratique et donné les bases de l’approche, on y va ! Sécurisée par mon personnage Anabelle qui ne lâche pas des yeux ses soignants au nez rouge, je me laisse guider par elles pour rencontrer en chambre, ceux qui ne la quittent plus.
Les soignantes jouent le jeu. Elle sont fée du sourires, distributrice de bonheur, fée de la joie… Après avoir rencontré les patients « faciles » elles m’entraînent vers les plus souffrants.
Elle est dans son lit seule. Il est 15h et pourtant déjà couchée. Elle est si triste depuis si longtemps. Il y a mes clowns soignants à côté du lit et moi, globalement en Anabelle. Je n’ai pas le costume mais je suis dans son énergie. J’ai un nez rouge et des cheveux bleus avec une jolie toque d’hiver à poils, un boa et du tulle bleu. Rien avoir avec mon elfe mais mes yeux et mon cœur sont bien les mêmes. Dans mon sac, j’ai de la musique douce et le lotus de lumière d’Anabelle. Quand je sors cette drôle
de lumière et que je m’avance près de son oreiller sans la quitter des yeux, son visage s’ouvre. Je lui ai peu parlé. J’ai surtout tendu ma main vers elle très délicatement. Elle a sorti sa main de dessous son drap et me l’a tendue. On était bien. Je lui ai dit que la lumière, ça se respirait. C’était doux et très émouvant de la voir être ainsi, vraiment souriante et calme.
Les soignants étaient aux larmes. Certaines m’ont dit qu’elles ne l’avaient jamais vue ainsi en 15 ans. Comme je ne le savais pas qu’elle était à ce point triste, moi j’étais innocente. Lui faire respirer la lumière m’a semblé si logique et lui caresser le bras aussi.
Bouleversées, les soignantes m’ont dit alors d’aller voir Robert ! Allez on y va !
Elles sont rentrées, une à une. Quel festival de jolies présences ! Naturellement car assez intimidées, elles m’ont laissé la place de choix, à ses côtés. Il est très jeune pour le centre. J’ai appris par la suite qu’il n’avait que 60 ans. Moi je n’ai vu que lui. Ses yeux et sa disponibilité à ma présence. Je me suis assise à côté de lui sur son lit, avec ma lumière à la main pour l’ambiance. Il était calme et moi pleine d’ouverture à lui, à nous, à ce qui se passait. Je ne sais plus comment c’est venu. Je lui ai demandé si nous partions quelque part tous les 2, ce serait où ? Il a un peu hésité face à tant de choix. Il a dit les montagnes. Ça change du lit qu’il ne veut visiblement pas quitter. Je sentais mes soignantes frémir, derrière nous. D’accord. « Ah que c’est bon de voir les collines, les hauts sommets. » Il a dit oui. « Et les cimes sont enneigées ! » « Ah oui, oui ! C’est beau ! » Je les voyais donc à mon tour. « Ressens le vent dans le cheveux. L’air frais. » Il sourit et dit oui. « Mais t’as pris tes skis !? » Je demande tout à coup. « Oui. » « Je peux monter sur ton dos ? Je suis nulle à skis. » « Oui. » « Oh merci ! T’es tellement fort. C’est super d’être sur ton dos. » Je faisais les virages sur le lit en essayant d’éviter les pièges. Il me dit: « Attention un arbre ! » « Ouf merci. J’ai failli avoir un méga accident. » « Si c’était Noël on aurait pu le décorer ! » me dit il. Ça me fait rire. Il est à fond avec moi en balade. On se sourit. Je lui propose de pique-niquer sous un arbre. « T’as pensé au pique nique ? » « Oui. » Il me dit avoir pris des sandwichs. « Et du vin ? » Il me répond « Non« . « Pas grave ! On boira de l’eau. » Et je sens toujours mes soignantes frémir et rire. Elles sont suspendues. Il n’a pas pris de fraises car ce n’est pas de saison m’explique t -il, alors on mange du chocolat. Il n’est pas trop dessert… Après tout ça, je lui explique que je vais le laisser. Il me sourit. Je le remercie pour cette grande promenade qu’il m’a fait faire. « Tiens je te laisse une plume pour que je puisse rester encore avec toi. » Avec quelle délicatesse, il saisit la plume ! D’une manière très lente il la saisit et la pose très précisément sur son cœur. Une plume blanche sur son pull noire, c’est beau. Il me dit: « Merci du fond du cœur. » « Merci à toi. » Il me sourit et il répète. « Du fond du cœur ! » Moi, je lui dis que je fonds ! Je fonds !!! Et je tombe d’ailleurs volontairement à la porte, comme un bonhomme de neige qui fond au soleil. Bouleversées par cette rencontre d’amour dans l’imaginaire, de la promenade nous partons en nous disant au revoir, yeux dans les yeux et sourires.
Dans le couloir, plus personne ne parle. Les soignantes ont les larmes aux yeux. Je ne comprends pas pourquoi à ce point.
« Mais tu te rends compte ce qu’il a vécu avec toi ?«
« Et bien non. Mais je fonds ! Quelle belle rencontre ! Quelle personne magnifique et ouverte !«
« Tu n’as pas senti sa tristesse ?«
« Là, tout de suite, non…«
Et elles m’expliquent. Il est terriblement malheureux. Il est arrivé ici à 52 ans. Ça fait donc, 8 ans. Il est couvreur et il est tombé du toit. Il est tombé du haut d’un clocher d’une vingtaine de mètres. Il est handicapé. Il ne sourit plus. Il ne veut participer à rien. C’est le plus jeune résident. Il n’a pas sa place ici mais il faut bien qu’il aille quelque part. Et toi tu l’as emmené en montagne ! Il a accepté ? Il avait l’air si heureux. Elles sont bouleversés et pour le coup, moi aussi. Je l’ai senti tellement homme robuste sur qui je pouvais m’appuyer. C’est sûrement l’être qu’il était avant l’accident que j’ai ressenti. C’est fou notre voyage. Combien il l’a accepté. Combien on a voyagé tous 2 sans que je sache qu’il aimait autant la nature et les sorties.
Quand je suis en personnage je ressens tellement l’autre, ses besoins, ses rêves et tous les possibles. Rien ne me limite. Ce qui est fou c’est que je lui ai proposé du vin ce que je n’ai jamais fais en 14 ans d’accompagnement. Elles ont frémi les filles car il a un problème avec l’alcool et il se débrouille toujours pour en avoir… c’est son truc. Et là, je lui en ai proposé mais il a naturellement dit « Non« . Comme tout ceci est étrange. Peut- être était il suffisamment heureux avec moi ? Comme j’aime être une Neztoile avec tous ces possibles, sans limite, toute ouverte à la Vie . Pas dans la démonstration mais dans la fonte des cœurs et la joie de partager.
On est descendues ensuite là où étaient tous les autres résidents. Que de sourires et de joie. Ça y est ! Les soignantes comprennent cette pratique à l’enthousiasme de tous ces aînés qui rient, sourient et s’émerveillent. J’ai alors dansé avec une vieille dame qui peut à peine tenir debout. Elle adore l’accordéon. J’en ai mis à fond avec mon mini ampli. Je l’ai tenue tout contre moi. J’avais tant peur qu’elle tombe que je me suis collée à elle. On a dansé 4 danses sans se quitter des yeux. Nos visages étaient à environ 10 cm. Le bonheur !!! D’une telle intimité. C’était fou. Sa poitrine collée à la mienne, nos ventres et nos bassins collés, on était dans le mélange complet de nos bulles. Elle souriait. Et m’embrassait parfois sur ma joue. C’est bien par ce qu’une autre dame réclamait sa danse avec Anabelle, que je l’ai remise sur sa chaise. C’était sans mot cette danse. Tout ce que j’aime dans la rencontre. De l’intensité sans pudeur, de la proximité sans limite, de la danse pure !
Le stage s’est poursuivi avec les stagiaires et il s’est clos avec beaucoup d’intensité et de respect. Le bilan pour les soignantes ? « On regardera plus dans les yeux les résidents, on mettra de la musique dans les chambres, on aura parfois le nez dans la poche… Oui. On fera sûrement différemment. On a vécu un dépassement de nous-même et c’est vraiment positif ! » Maintenant qu’elles ont ressenti la force d’être un personnage centré sur la joie, elles comprennent totalement le sens de la formation. Merci !
Et moi je repars vers d’autres contrées, d’autres patients, hostiles ou pas. Le chemin de la joie est semé de merveilles. Tout est jeu et enseignement. L’imaginaire ouvre des portes inaccessibles autrement, car je ne censure aucune intuition, aucune information. Par ma liberté d’être, j’aide le patient à explorer autrement sa vie. Tout le monde peut le faire. Ce n’est qu’une histoire d’autorisation et d’audace dans le présent. Soyons prêts au changement.
C’est le cœur du vivant.
super ! Merci pour tes partages si vivants :-). Gros bisous
Très touchée par ce témoignage, j’avais l’impression d’être là moi aussi avec les résidents
Merci, bises
Stephanie
Magnifique Annabelle, comme tous tes témoignages. Je viens d’envoyer le lien à la maison de retraite de ma maman. J’aimerais tellement que tu la rencontre.
Je t’ai rencontrée à l’IFSI de Bicêtre et tu m’as transportée 🙂