Avoir de la joie
Mai 2016
On est mardi. Il a 82 ans et ne me quitte pas des yeux. Il est proche de la mort mais tellement vivant. Je suis sur son lit, en docteur de la joie, à 35 cm de son visage peut-être ou 37,5 ?
Je lui demande : « Quand je te dis joie, tu me réponds quoi ? »
« Sourire ».
« Et puis encore ? »
« Rire ».
Ah ! Faire rire sur commande, c’est dur. Je tente une bêtise, là tout de suite. J’agite mon bout de nez tel un lapin, un de mes dons de naissance. C’est très rare.
Il sourit et en miroir fait bouger ses ailes du nez. Sa femme, assise à côté n’en perd pas une miette. Cette détente pleine de rires fait du bien à tous !
Comme il est bien ouvert par le sourire, j’en profite pour aller plus loin afin qu’il réveille des joies profondes.
« Quel est le plus beau souvenir de ta vie ? »
« Je veux partir en Colombie. »
C’est drôle. Son meilleur souvenir s’oriente vers le futur. Et la Colombie ? C’est inattendu.
Notre fils est là-bas me dit sa femme.
» Il te manque ? » » OUI. »…
Sa femme me rassure et me dit qu’il est venu les voir il n’y a pas longtemps… Mais là, tout de suite, ce papa qui va bientôt mourir, pense à son fils à l’autre bout de la terre. Respiration, accueil…
Je suis souvent enjouée en Anabelle pour dédramatiser la situation, et je vais toujours droit au but, l’air de rien…
« Et dis donc…il sait ton fils que tu l’aimes ? »
« Oui »
« Tu lui as dit ? »
« Non, mais dans mon comportement. »
Il parle toujours en phrase courte. Il ne s’embarrasse pas du superficiel avec sa maladie, comme s’il ne pouvait dire plus, étant limité dans son expression.
« Et t’as envie de lui laisser des messages que t’aurais pas dit ? »
« Oui. »
Je lui montre alors mes post-it en forme d’étoile, de nuage ou de cœur qui vont recevoir ses pensées.
Il choisit le cœur. Je souris.
Il me dicte : « Je pense à toi. Bisou. »
« Et t’aurais pas une phrase à lui donner pour toute sa vie ? Comme un conseil ? »
Il me répond après réflexion: « Avoir de la joie ».
Je suis très touchée. Surtout, ne pas pleurer, là tout de suite, devant lui. Il ne comprendrait peut-être pas qu’à cet instant, sa profondeur simple, yeux dans les yeux, me bouleverse.
Sa femme ne savait pas qu’il avait cette pensée. Comme c’est beau !
Je lui tends le post-it cœur précieux qu’elle remettra au fiston plus tard…
Ensuite, nous rentrons dans une toute autre joie, là tout de suite: la danse du poignet sur Maurice Chevalier, car il a adoré danser. Il a le rythme dans la peau et une vivacité étonnante. Je danse toute entière avec lui. Toujours en ne se lâchant pas du regard !
Quand on ne quitte pas des yeux une personne, ce qui est très rare, tout rentre en soi. On ne fait pas le tri. Du coup, je suis toute touchée de nos merveilleux échanges, de son énergie calme, de son amour et de ses pensées qui vont à l’essentiel. Je repars en envoyant plein de bisous légers après avoir serré intensément leurs 2 mains.
La joie et la transmission étaient au rdv….Mission accomplie !
Il est vraiment incroyable cet homme là.
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